« L’articulation entre l’État et les collectivités locales dans le domaine de l’Éducation » :
Un rapport de l’IGESR* de mars 2022.
Les premières lois de décentralisation avaient déjà donné un rôle de «prestataires» aux «collectivités locales» : bâti scolaire, transport, numérique… L’État leur demande désormais de dépasser cela pour participer à la définition de « projets éducatifs et à leur conception ».
Ce serait « une co-construction » qui, reconnait le rapport, « peut paraître comme une remise en cause du principe historique des pères fondateurs de l’école républicaine » avec « le principe d’une éducation essentiellement nationale » avec « ses programmes et ses objectifs nationaux ».
Le rapport constate qu’en 2021 « les politiques éducatives, hors enseignement académique, se développent avec l’appui des collectivités territoriales, d’acteurs publics diversifiés et de partenaires associatifs ». Il cite « les cités éducatives et les territoires éducatifs territoriaux (TER) » pour relancer les PEDT (Projets Éducatifs Territoriaux), lancés en 2014 mais sans grand succès.
Il ajoute que ces « politiques éducatives (territoriales) générées par le contexte de l’accès à l’emploi, concernent tout autant le Ministère du travail et de l’emploi que les collectivités territoriales ».
En termes feutrés, le rapport entend faire comprendre que désormais la priorité de l’État ne serait plus l’Éducation Nationale pour préparer les jeunes générations à des examens et diplômes nationaux reconnus sur l’ensemble du territoire national, mais… « l’accès à l’emploi ». Traduisons : si le marché de « l’emploi » nécessite une main d’œuvre bon marché, précaire, peu ou non qualifié, alors on ne voit vraiment pas pourquoi l’État devrait assurer gratuitement les formations élémentaires, secondaires, universitaires et professionnelles avec qualification reconnues à la clé ! Cela ne risquerait-il pas d’engendrer des frustrations sources de bien des tensions et des exigences salariales incompatibles avec la rentabilité des entreprises et les économies budgétaires pour les services publics ?
Les collectivités territoriales (élus politiques locaux, associations, bassins d’emplois…) sont donc appelées à « coconstruire » des missions de «formations » à la place d’une Éducation Nationale dont le démantèlement est ainsi programmé.
Que deviendraient toutes les disciplines d’enseignement du français, des maths, d’histoire, géographie, sciences, langues vivantes, Éducation physique et sportive, musicale et artistique… dans ce « partenariat » hétéroclite d’intérêts et de responsabilités différentes voire contradictoires ? Une auberge espagnole ?
Que vaudraient des certificats « territoriaux », délivrés et donnés à presque tout le monde, mais sans valeur sur le marché du travail ? Ne parle-t-on pas désormais de recruter des apprentis à bac+2 dont la rémunération serait versée par l’État à l’employeur qui disposera ainsi d’une main d’œuvre gratuite et précaire ?
Qui prendrait en charge et comment l’enseignement adapté aux élèves en difficulté et/ou handicapés, la médecine scolaire déjà en voie de disparition, les personnels administratifs et de services ? Les collectivités territoriales ? Celles-ci, en un an, ont déjà perdu entre 10 et 15 % de leur budget annuel et ont déjà du mal à financer ce qui leur revient en matière de construction, réhabilitation et entretien des écoles, collèges et lycées !
Le « Conseil d’Administration » de « l’école territoriale » devra trouver les fonds pour financer «les activités» qu’il préconiserait en toute «autonomie».
Serait-ce « une co-construction » ou «une co-destruction de l’Éducation Nationale » ?
Le rapport souligne que les collectivités territoriales ont largement pris leur part, en particulier en termes d’investissements, et l’ont fait « face à une Éducation Nationale dont la priorité était d’assurer les enseignements et de rémunérer l’ensemble des personnels qui représentent près de la moitié des fonctionnaires de l’État ».
Il conclut donc en constatant que « cette articulation Etat-collectivités territoriales » étant très inégale, elle exigerait « des décisions de fond qui permettraient d’appliquer réellement le principe de » libre administration » ».
En clair l’abolition de l’actuelle législation de l’Éducation Nationale pour fonder des établissements scolaires disposant d’une pleine et entière «autonomie». N’est-ce pas ce que formule le projet de loi Brisson ?
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* IGESR : Inspection Générale de l’Education nationale, des Sports et de la Recherche