La Commission des Affaires Culturelles et de L’Éducation a déposé un rapport, présenté par les Députés Paul Vannier et Christopher Weissberg, sur le financement des écoles privées sous contrat par les fonds publics. Il décortique 2 questions essentielles : l’utilisation des fonds publics dans un état de droit et la légitimité de ces versements au regard de la laïcité.
Un précieux constat
Les établissements d’enseignement privés sous contrat avec l’État scolarisaient, à la rentrée 2022, plus de deux millions d’élèves, soit près de 17 % des effectifs totaux des élèves en France – 13,4 % des élèves du premier degré et 21 % des élèves du Second degré – au sein de 7 500 établissements. Si le réseau des établissements catholiques regroupe la très grande majorité des élèves et des établissements privés sous contrat (près de 96 % des élèves), il cohabite avec un grand nombre d’autres réseaux : les établissements laïques (35 000 élèves), les établissements juifs (25 000 élèves), les établissements d’enseignement en langue régionale (15 000 élèves), les établissements protestants (3 000 élèves) et les établissements musulmans (1 300 élèves).
Alors même que l’article L. 151-3 du Code de l’Education dispose que « les établissements publics sont fondés et entretenus par l’État, les régions, les départements ou les communes, les établissements privés sont fondés et entretenus par des particuliers ou des associations », la réalité est tout autre constate le rapport.
L’État, premier financeur des établissements prives sous contrat
Les établissements d’enseignement privés du premier et du second degré ont ainsi perçu, en 2022, environ 13,8 milliards d’euros, dont environ 10,4 milliards d’euros d’argent public (8,5 milliards d’euros de l’État et 1,9 milliard d’euros des différents échelons de collectivités territoriales), complétés par 3,3 milliards d’euros de contributions des familles et 159 millions d’euros versés par des entreprises. Ces montants sont en forte hausse.
Des dépenses publiques difficiles à evaluer…
Le rapport souligne que, malgré les sommes en jeu, aucune administration ou institution n’est en mesure de fournir un montant consolidé de la dépense allouée aux établissements privés. Cette dépense, dont l’allocation est peu transparente, sans cadre légal systématiquement défini et éminemment politique, est, en outre, très nettement sous-estimée compte tenu de mécanismes de financements indirects.
La mission conclut également que la fréquence et la profondeur des contrôles réalisés sur les établissements privés sous contrat sont très largement insuffisantes…
Voilà pour les fonds publics versés à des officines privées quasiment sans contrepartie.
Une évidence
Il faut dire aussi que si les établissements scolaires privée sous contrat se pliaient aux mêmes obligations que les établissements publics, ils perdraient leur « caractère propre » et donc toute légitimité à exister comme telle. Par exemple, l’inscription « Ecole catholique » à la porte de l’école est si manifestement contraire au principe constitutionnel de laïcité de l’École et de l’Etat qu’aucun fond public ne devrait lui être versé. Le rapport démontre à l’inverse que l’évolution des financements publics est… à la hausse.
De même, le rapport cite plusieurs éléments prouvant que toutes les décisions du Ministère de l’Education Nationale ne sont pas appliquées dans les écoles privées sous contrat. C’est confirmé par le Ministère lui-même qui a indiqué que « le choc des savoirs » par exemple était, en quelque sorte, facultatif dans les collèges privés sous contrat !
Un système hors de contrôle
Le rapport constate des contrôles pédagogiques, administratifs et budgétaires très épisodiques et souvent inexistants. Cela autorise l’utilisation de fonds publics à d’autres fins que celles prévues, le libre emploi du forfait d’externat (exemple des crédits du Pacte) et, y compris la rémunération d’heures fictives.
Le rapport signale des attentions très différentes des pouvoirs publics selon le caractère propre de l’établissement. Il cite les cas Stanislas (établissement catholique très bien traité par l’État malgré ses turpitudes) et Averroès (établissement musulman maltraité victime d’une procédure discriminatoire).
Il signale également des applications très différentes d’un établissement, d’un département et d’une Région à l’autre. Il n’y a pas de respect pour l’égalité des droits des élèves… Idem pour la dépense publique.
L’autonomie de chaque établissement est le maître mot d’un fonctionnement totalement inégalitaire et largement incontrôlable.
Une défense publique a géométrie variable
La dépense publique est certes moindre pour un élève du privé que pour un élève du public, mais le privé compte beaucoup plus de contractuels et beaucoup moins d’agrégés et les cotisations sociales ne sont pas les mêmes. Et les élèves du privé sont moins souvent boursiers ou « à besoin éducatif particulier ».
Il faut dire aussi que le public a perdu 62 911 postes de 2000 à 2012 tandis que le privé seulement 2 133 alors que sur la base du ratio 80/20 il aurait dû en rendre 15 000 !
Le rapport constate que la gestion se fait au niveau national entre l’Etat (le cabinet ministériel) et le secrétariat général de l’enseignement catholique et entre le Recteur et le diocèse dans les académies. Ce qui au regard de la loi de 1905 est… une hérésie ! De plus, le rapport donne des chiffres ahurissants en matière de contrôle sur le plan pédagogique : 5 contrôles par an pour 7 500 établissements, cela représente un audit budgétaire tous les… 1500 ans !
Une « mixité sociale » aussi faible que « la mixité scolaire » …
Les rapporteurs se sont naturellement interrogés sur la question de « la mixité sociale« . Ils écrivent : « Il apparaît que les stratégies d’évitement des établissements publics par des familles favorisées, le coût de la scolarisation dans un établissement privé ainsi que la grande liberté dont jouissent ces établissements sous contrat pour le choix de leurs élèves ont contribué à une accélération nette de la dégradation de la mixité sociale au sein des établissements privés (…) ainsi que des inégalités scolaires ».
Conclusions ?
Les rapporteurs, devant ces constats estiment que « la France est désormais à la croisée des chemins ». Plusieurs pistes sont proposées. La proposition principale serait de financer les établissements privés sous contrat en fonction de l’IPS [Indice de Position Sociale]. C’est déjà une préconisation formulée par la Cour des Comptes.
Les pouvoirs publics paieraient, avec les fonds publics, au nom de « la mixité sociale », les établissements privés qui accepteraient de prendre gratuitement les enfants de familles populaires pour les scolariser chez eux ! Autrement dit des crédits supplémentaires aux écoles confessionnelles pour les encourager à intensifier leur concurrence avec l’École laïque.
Cette proposition ressemble à une véritable provocation au moment où le pouvoir politique a entrepris de démanteler l’Education Nationale !
Elle a déjà soulevé des contradictions importantes, y compris entre les deux rapporteurs. Le Député Vannier constatant, pour sa part, que financer, par des fonds publics, la scolarisation dans les établissements privés sous contrat d’élèves, de familles en difficulté, serait de fait verser encore plus de subventions aux écoles privées ce qui est déjà très contesté dans le pays par les milieux laïques.
La hiérarchie catholique ne s’y est pas trompée. Elle a signé le 29 février 2024 un protocole d’accord avec l’Etat commençant ainsi : « Les deux parties s’accordent en préambule sur un constat commun : celui d’une différence persistante et trop importante de composition sociale, entre les établissements d’un même réseau public ou privé et entre les établissements privés et publics. » (1)
Et cela est signé par le Ministre de l’Éducation nationale de la République.
Il faudra sans doute un peu de temps pour que la République revienne au principe de base du retour des fonds publics pour la seule École publique. Mais n’est-ce pas la voie qu’il faut emprunter tous ensemble pour y arriver ?
Michel Landron
(1) « L’enseignement catholique partage l’objectif de mixité sociale et scolaire qui est déjà la réalité de nombre de ses établissements, et dont il a fait l’un de ses programmes stratégiques ainsi qu’aux principes fondamentaux qui l’animent. Dès lors que la liberté d’inscription est respectée et que le libre choix des familles se trouve garanti, il y voit inséparablement un enjeu de justice sociale et une traduction effective de la liberté de l’enseignement dont l’Etat garantit l’exercice aux établissements privés ».
image mise en avant :