Editorial du numéro 15 du Délégué laïque : Les Mots et les Actes

Incontestablement nous vivons une période charnière dans la question de l’École publique laïque. On reste effaré sur les raisons qui ont poussé Emmanuel Macron à soutenir « mordicus » les propos scandaleux de dénigrement de l’Institution scolaire publique d’Amélie Oudéa-Castéra, alors ministre de l’Éducation nationale.

Quelques soient les raisons obscures, le résultat est là : une indignation collective des enseignants, des personnels et des Laïques. Face à une telle attaque, ressentie par tous comme l’attaque de trop, force est de constater que le Mouvement laïque, hier profondément divisé en trois blocs, s’est immédiatement reconstitué de facto, sinon de jure.

Rappelons que c’est l’attaque de la loi Debré de 1959 et la réaction qui s’en est suivie par la pétition de 11 millions d’électeurs réclamant son abrogation, le Rassemblement à Vincennes des 300 000 Laïques et le Serment de Vincennes qui ont été fondateurs du Mouvement laïque en France.

Les trois blocs sont, par ordre d’apparition :
Le Bloc Historique de 1905 : Libre Pensée, Ligue de l’Enseignement, Ligue des Droits de l’Homme auquel s’est rajouté l’Union rationaliste.
L’UNSA (ex-FEN) et le CNAL, en tout cas ce qu’il en reste après les lustres passés.
La FSU et ses partenaires.

À l’initiative de celle-ci, ces trois blocs ont fait front commun et ont publié une Tribune collective qui a enclenché indéniablement une dynamique d’union laïque. Il est très clair et très positif qu’une volonté d’union s’est fait jour et tout le monde en tient compte.

Enfin, pas tout le monde, puisque Eddy Khaldi s’est cru obligé de jouer les diviseurs (une fois de plus) en déclenchant une guerre picrocholine avec la Secrétaire Générale du SE-UNSA, ce qui a conduit la FN-DDEN qui est Présidente du CNAL cette année à suspendre sa participation à celui-ci. Il fallait oser et oser le faire dans cette situation où l’aspiration à l’unité est profonde chez les Laïques.

Au moment où le financement public de l’enseignement privé, majoritairement catholique, est remis en cause comme jamais et où l’abrogation de la loi Debré et des lois antilaïques est dans la conscience et la volonté de tous les Laïques, quel est le sens de cette opération de division menée par Eddy Khaldi ?

Dans la Lettre du DDEN N°257 du 1er Mai 2024, on peut lire :  » La loi Debré a fait l’objet d’un contournement, par lequel il s’est agi d’enfreindre la reconnaissance des établissements privés, que la loi mentionne seuls, explicitement et exclusivement, comme entité juridique, pour lui substituer la reconnaissance institutionnelle des représentants officiels directs ou indirects de la hiérarchie dont le secrétaire général de l’Enseignement catholique.  »

Pire encore : « Demandons avec le Serment de Vincennes, l’arrêt de la gestion de l’Église catholique et ses représentants, secrétaire général et directeurs diocésains qui négocient, seuls, illégitimement et illégalement, avec le ou la ministre et les Directeurs académiques des services de l’Éducation nationale. Seuls les personnels enseignants, de direction et les parents d’élèves des établissements privés sont reconnus dans des commissions de concertation, inexistantes bien que présentes dans la loi, aujourd’hui occultées. »

Il faut oser se réclamer du Serment de Vincennes pour demander en fait le retour à la loi Debré d’origine ! Quand on lit les ouvrages du même Khaldi, on voit clairement sa thèse : il faut revenir à la loi Debré dans son essence et sa consistance (voir article d’un DDEN dans ce numéro qui explique bien cela).

Dès lors, les choses sont claires : Eddy Khaldi n’est pas pour l’abrogation de la loi Debré et l’arrêt du financement public de l’enseignement privé catholique, mais pour une bonne application de celui-ci. C’est du révisionnisme pur quand on parle du Serment de Vincennes.

Dans les réunions unitaires, les trois blocs se sont tous réclamés du Serment de Vincennes et du mot d’ordre : « Fonds publics à l’École publique, fonds privés à l’école privée ». Ce n’est pas la position du Président de la FN-DDEN et c’est pourquoi il divise pour empêcher tout mouvement réel de mobilisation pour en finir avec les lois antilaïques qui permettent que 12 milliards de fonds publics soient pris sur le budget de l’Enseignement public pour financer une œuvre de l’Église catholique.

Dans le débat qui se mène sur le financement public de l’enseignement privé, dans la Tribune collective à l’initiative de la FSU, il y a : « Le financement collectif du séparatisme social et scolaire n’est pas acceptable, l’argent public doit aller à l’École publique ». Rappelons le débat historique entre les différentes composantes du Mouvement laïque. Tout le monde (ou presque) est d’accord sur l’abrogation de la Loi Debré, tout le monde (ou presque) est d’accord sur la Fidélité au Serment de Vincennes, tout le monde (ou presque) est d’accord sur Fonds publics à l’Ecole publique, fonds privés à l’Ecole Privée, la seule divergence qu’il y a, c’est sur la manière de faire.

La Ligue de l’Enseignement et la Ligue des Droits de l’Homme disent qu’il faut que l’École publique retrouve son niveau d’excellence d’avant et quand elle l’aura retrouvé, elle pourra abroger la Loi Debré, parce qu’il n’y aura pas de tumulte. D’autres pensent, comme la Libre Pensée par exemple mais pas que, que pour que l’École Publique retrouve son niveau d’excellence, il faut abroger la Loi Debré et récupérer les 12 milliards pour les donner à l’Enseignement public.

Donc la divergence ne porte pas sur l’abrogation de la Loi Debré, fonds publics à l’École publique, Serment de Vincennes… Elle porte sur ce que l’on fait concrètement : on abroge ou on n’abroge pas maintenant ? Est-ce qu’on récupère les 12 milliards ou pas ?  C’est une divergence qui n’est pas mince. Et qui marque ou pas une volonté.

Dans ce débat, Benoit Teste, le Secrétaire général de la FSU a dit la chose suivante : « Il y a un compromis à faire, qui permettra à tout le monde d’être d’accord c’est un plan de sortie du financement public de l’enseignement privé ». Indéniablement, si l’objectif est clairement indiqué et affirmé (c’est une condition indispensable pour éviter tout faux débat et toute sortie de route), le Mouvement laïque peut s’unir sur cette idée : un Plan de sortie du financement public de l’enseignement privé.

Nous sommes dans une situation nouvelle, nous ne sommes plus dans les mots où tout se vaut, le pire et le meilleur. Parce que la Fédération nationale de la Libre Pensée a remis à toutes les composantes laïques sa proposition concrète et détaillée d’un tel Plan (publié dans ce numéro) avec deux projets/propositions de lois pour cela, chacun est face à ses responsabilités. Nul ne peut se dérober à cette discussion concrète. La discussion n’est plus : Quoi faire, mais Comment faire ?

Quel militant, quelle association de la Laïcité militante pourrait accepter qu’un tel privilège religieux de détournement des fonds publics au détriment de l’Enseignement public et laïque se perpétue ad vitam ?

Comme l’indique elle-même la Libre Pensée, avec ce Plan proposé, on se retrouverait, et comparaison vaut raison, très exactement dans la même situation que la IIIème République quand elle a laïcisé les services publics, les hôpitaux, les écoles, les cimetières… elle a fait un plan de sortie du religieux des services publics. Du jour au lendemain, il n’y a pas eu la laïcité intégrale dans les services publics de la IIIème République, ce n’était pas possible. Les Religieuses ont continué un certain temps dans les hôpitaux, dans les écoles de filles, dans les prisons… Sauf qu’il y avait une volonté politique de laïciser le service public et cette volonté politique a conduit à ce que les religieux soient éjectés à terme du service public.

Force est de constater qu’il n’est pas possible aujourd’hui, par un claquement de doigts, de faire basculer 2 millions d’élèves et 100 000 mille enseignants du privé dans l’Enseignement public. Mais ce qu’il faut, c’est là aussi, la volonté politique (au bon sens du terme) de s’engager résolument dans la voie de la fin du financement public du privé.

C’est pour faciliter cette discussion et cette action, que le Délégué laïque publie un certain nombre de textes de réflexions et d’analyses de différentes personnes attachées à la défense du Savoir et de l’Instruction publique dans ce numéro 15. Le puissant mouvement de résistance qui se fait jour, sous différentes formes, dans l’Enseignement public, a incontestablement nourri la Motion « Laïcité » du CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) à l’initiative de la Conférence des Présidents d’Université (CPU) que nous publions aussi.

Maintenant que nous avons l’outil pour cela (Le Plan de la Libre Pensée), il faut en discuter et mobiliser les Laïques pour cela. Ce qui s’est fait dans le Maine-et-Loire à l’initiative de l’UD-DDEN montre la voie à suivre. La perspective d’États généraux pour la défense et contre le démantèlement de l’Enseignement public peut irriguer le grand mouvement de protestation des enseignants, des personnels, des parents d’élèves, des lycéens et des étudiants pour la défense de l’Enseignement public contre les menées destructives du gouvernent Macron/Attal/Belloubet.
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Nous avons l’objectif, l’outil, le moyen, il ne manque plus que la volonté. C’est là la responsabilité toute entière des différentes composantes du Mouvement laïque.

Encore un effort, Laïques, pour défendre notre École publique !

Paul Feldman