La Fédération des DDEN à la croisée des chemins

Voyage dans la Revue «  Le Délégué de l’Education Nationale » N° 259 de Juin 2019.

Dans nos établissements scolaires publics, c’est l’effervescence depuis que le Ministre Blanquer s’est lancé dans l’aventure d’une nouvelle loi pour « l’école de la confiance ». La plupart des syndicats d’enseignants n’ont pas confiance et s’y opposent. Les parents sont inquiets face à une loi qui institutionnalise les inégalités entre les écoles. Les grèves, les manifestations, les journées d’action se sont multipliées, la demande de retrait de cette loi a envahi les établissements scolaires…

L’enjeu n’est pas mince

Remplacer « l’Education nationale » par « des écoles territoriales » placées sous la tutelle d’Elus politiques locaux, d’associations les plus diverses (de droit privé) et s’ouvrant aux activités y compris aux entreprises, n’est-ce pas faire le pari de parvenir à éclater l’Ecole de la République ?

C’est dans ce contexte où se joue l’avenir de l’Ecole laïque que paraît la Revue de juin de la Fédération, à la veille de son Congrès de Rennes des 14 au 16 juin prochains… Comment se positionnera l’équipe fédérale derrière Eddy Khaldi, le Président ?

On trouve certes en pages 16 et 17 deux communiqués du CNAL dénonçant la chute des postes au concours de professeurs des écoles publiques (1 065 postes de moins !) pour 310 postes de plus pour les écoles privées, ainsi que l’obligation pour les Communes de financer les écoles maternelles privées (à hauteur d’environ 150 millions qui manqueront pour l’entretien des écoles publiques) en conséquence de l’abaissement de l’instruction obligatoire à 3 ans.

On verra si au Congrès National, la résolution générale renouvellera ou non l’exigence de toujours des DDEN d’abrogation des lois antilaïques, en particulier de la loi Debré de 1959, mère de toutes les violations de la laïcité de l’Ecole et de l’Etat (1).

Nous remarquerons le silence sur le fait que la loi Blanquer met l’école maternelle publique, non seulement en concurrence avec les écoles maternelles privées, mais aussi avec « les jardins d’éveil » reconnus comme faisant partie de l’obligation scolaire pour les enfants de 3 à 6 ans qu’ils accueilleront. Bref, des « écoles bis » sans enseignants ni ATSEM ! En déclarant au Sénat que l’abaissement à 3 ans de l’âge de l’obligation scolaire était « l’article le plus important de sa loi » le Ministre ne la qualifie-t-il pas lui-même de loi de privatisation du service public ?

On aura beau chercher dans la revue, qui publie le Rapport d’activité pour le Congrès, le positionnement de la Fédération contre la loi Blanquer, on ne trouvera absolument rien. Pardon, si. On trouve la demande d’inclure dans la loi la présence des DDEN « dans toutes les structures administratives qui gèreront la scolarité obligatoire ».

Bref, la Fédération Nationale propose ses services pour participer à la mise en œuvre de la loi avant même qu’elle soit votée ! On ne parvient pas à couvrir toutes les écoles publiques et on demanderait de couvrir toutes les structures appelées à mettre en œuvre le démantèlement de l’Education Nationale que la loi Blanquer se propose de réaliser sous le quinquennat de M. Macron ? Car il s’agit bien de cela sous le pilotage du Président Khaldi : collaborer avec le pouvoir politique en espérant obtenir ainsi de la reconnaissance et des félicitations !

La lettre du DDEN numéro 162 de juin 2019, informe de l’amendement 146 adopté au Sénat mentionnant que le 2ème alinéa de l’article L. 421-2 du Code de l’Education est complété par : « et dans les collèges, les DDEN »

La 7ème édition du baromètre de nos métiers, commenté par l’UNSA Education, constate qu’il ne reste plus que 5% de réponses positives dans les écoles primaires à la question ; « Diriez-vous que vous êtes d’accord avec les choix politiques faits dans votre secteur d’activité » (moins de 40% pour les IEN !). Au moment donc où le Ministre est de plus en plus isolé, la Fédération Nationale au lieu de travailler à rassembler le camp des amis de l’Ecole de la République, proposerait ses services pour aider le Ministre ?

La loi Blanquer c’est le regroupement des écoles et des collèges sur la base d’un « projet éducatif territorial » qui déterminera leur « caractère propre ». Il ne sera pas catholique. Ce sera n’importe quoi. Différent d’un quartier à un autre, d’une commune et d’une Intercommunalité à une autre… bref, l’institutionnalisation des inégalités, la remise en cause des programmes scolaires nationaux, les mêmes dans toutes les écoles du pays pour préparer les élèves à des examens et diplômes nationaux délivrés par l’Etat permettant leur reconnaissance dans tous les statuts et convention collective.

Voilà à quoi, il nous faudrait collaborer ?

Dans la revue de la Fédération, la partition de cette musique funèbre au chevet de l’Ecole de la République est déjà déclinée :
« L’histoire nous a enseigné que la coordination et la médiation sont les atouts de ce projet d’une école de la confiance » (RA p12).
«  Quel statut pour le Conseil d’Ecole alors que le Directeur d’école qui convoque et préside n’a lui-même pas de statut ? (RA p 12)
« Propositions d’évolution du Conseil d’école et des instances de gestion de l’école avec toutes ses composantes » (p. 12)
« Notre mission associative : proposer et initier des projets éducatifs » (p 12)
« Promouvoir l’école de la République en mettant en lumière les projets de l’école pour faire connaître et reconnaître notre fonction…» (p. 13)

Faut-il rappeler que les missions des DDEN sont exactement à l’inverse ! Elles veillent à ce que chaque et toutes les écoles respectent les règles nationales de l’Education Nationale en matière de programmes scolaires nationaux communs à toutes les écoles, ainsi que les conditions de la vie scolaire répondant à des critères nationaux en matières d’hygiène, de sécurité, de confort, d’entretiens, de constructions scolaires ?

Faut-il rappeler que les DDEN ne participent pas à « la gestion des écoles », pas plus que les autres « composantes du Conseil d’Ecole ». Ils veillent au contraire à ce que les autorités de l’Education Nationale et les Municipalités, chacune en ce qui les concernent, assument leurs responsabilités respectives définies nationalement. C’est la base de leur indépendance.

L’Education nationale n’est pas une fédération « d’écoles autonomes » comme le voudraient les démolisseurs de cette institution fondamentale de la République laïque. Certes, l’Education Nationale coûte cher au pays estiment les partisans de son démantèlement et de sa privatisation. Mais pour les DDEN, elle n’a pas de prix au regard de l’égalité des droits de tous les enfants à une seule Ecole publique de la République laïque, la même pour tous avec tous les moyens nécessaires à son bon fonctionnement. Les DDEN ont été dans l’histoire, « les sentinelles » veillant au respect de ces droits des enfants du pays à l’enseignement public. Ne doivent-ils pas le rester ?

Le Congrès de la Fédération Nationale décidera quant à lui le chemin qu’il entend prendre : aux côtés des amis de l’Ecole de la République ou avec ses fossoyeurs.

Michel Bureau

(1) Le CNAL demande à la Cour des Comptes d’évaluer le coût de ces financements publics des établissements privés. La Fédération Nationale de la Libre Pensée pour sa part a publié les résultats de son évaluation sur la base des Budgets votés par l’Etat, Les Régions, les Départements et les Communes : 12 milliards en 2018.

SUR LA LAICITE DES ECOLES ET DE L’ETAT.
L’édito du Président Khaldi s’attaque au dualisme scolaire en dénonçant la bataille des autorités de l’Eglise catholique pour le financement de leurs écoles par les fonds publics. Mais, il oublie que cette bataille ne serait rien si l’Etat et les gouvernements qui se sont succédés sous la 5ème République autoritaire et antidémocratique, n’avaient pas, depuis la loi Debré, déverser des milliards de fonds publics détournés de l’Ecole de la République pour alimenter les écoles privées à plus de 90% catholiques. Faudrait-il sacrifier la démocratie et la laïcité de l’école et de l’Etat pour ne pas chagriner les autorités gouvernementales en réclamant l’abrogation de la loi Debré ?

L’EDUCATION NATIONALE : UN SERVICE PUBLIC DE L’ETAT AVEC DES FONCTIONNAIRES D’ETAT.
La loi Blanquer remet nécessairement en cause le statut de fonctionnaires d’Etat des enseignants. Il est en effet incompatible avec leur soumission aux Elus politiques territoriaux et aux associations privées appelés par la loi à gérer « leurs » établissements scolaires sur la base de « leur caractère propre » appelé ici « projet éducatif territorial ».
La loi de « transformation de la Fonction publique » en cours de discussion ne prévoit-elle pas la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires et la généralisation de la contractualisation des personnels des services publics ? N’est-ce pas ouvrir la voie, pour les écoles, à des recrutements locaux plaçant le personnel sous l’autorité du Maire, du Président de l’Intercommunalité, du Président d’une Association de parent d’élève…  et non plus sous la seule responsabilité de l’Education Nationale ? En français on appelle cela le désengagement de l’Etat malheureusement totalement ignoré dans le rapport d’activité.

« LA CITE EDUCATIVE » OU « LE BAZAR A PROJETS » DANS LES QUARTIERS POPULAIRES.
Le Ministre a sélectionné 80 territoires pour y installer des « Cités Educatives » pour les prises en charges « éducatives » des enfants à partir de 3 ans jusqu’à 25 ans dans les quartiers populaires. Le dépôt des projets doit être fait d’ici le 30 juin pour une labellisation en Juillet.
La seule réserve est d’avoir l’accord du Maire qui aura une subvention de l’Etat. Un aveu qu’il s’agit bien d’un transfert non seulement de compétences de l’Education Nationale aux collectivités locales mais aussi de financements. La « Cité Educative » pilotée par la Mairie vise à rassembler pleins d’activités diverses parmi lesquelles on trouvera des écoles et un collège. Aucune référence aux programmes scolaires nationaux. Bien au contraire. Il faudra bien caser tout le monde dans ce bazar. Tout n’est-il pas « éducatif » ? et comment le Maire refusera à des Associations ce qu’il acceptera pour d’autres ?
Faudrait-il que les DDEN s’impliquent dans ce bazar ou au contraire interviennent pour protéger l’Ecole de la République de cette opération séparatiste d’une école de territoire pauvre pour les enfants des pauvres ?