1. La laïcité de l’école publique.
En France, la laïcité de l’État s’appuie principalement sur la loi du 9 Décembre 1905, dite de Séparation des Églises et de l’État. Mais la laïcité de l’Ecole publique est régie pour l’essentiel par les lois Ferry de 1882 et Goblet de 1886.
La laïcité scolaire, instituée par les lois de 1882 et 1886, vise à protéger l’élève des pressions de la société, par une sanctuarisation de l’Ecole publique, à la porte de laquelle doivent s’arrêter les idéologies et les religions. C’est la condition pour que l’enseignement public, dans le cadre des conceptions de Condorcet, soit basé sur la raison, la science, et l’apprentissage de l’esprit critique, sous la conduite d’un instituteur fonctionnaire d’État tenu à la neutralité dans sa classe.
Donc pas de signes religieux dans la classe pendant les cours. Pas d’endoctrinement non plus, y compris d’ailleurs aussi d’origine gouvernementale…
2. La nature des sorties scolaires :
Par définition, il s’agit de sorties hors de l’école, donc hors du sanctuaire. Que la sortie scolaire soit plutôt « technique » (piscine, stade, etc..) ou de type « découvertes », l’objectif est avant tout pédagogique. Pour les sorties « découvertes » il s’agit d’aller réellement dans la société, pour voir comment elle est, avec tous ses défauts. Cela ne peut se faire que sous l’autorité de l’instituteur, qui prépare la sortie en amont, qui l’encadre, et qui ensuite fait un débriefing. C’est ce cadre scolaire géré par l’instituteur qui en fait une sortie scolaire et pas une promenade en ville.
Alors la question de la protection de l’élève par rapport aux pressions de la société se pose forcément différemment. On ne peut pas protéger les élèves des pressions de la société en y allant pour la voir en vrai. On ne peut pas raser les édifices religieux, enlever les affiches électorales, demander à tous les passants la neutralité qu’on assure dans la classe.
Et ce serait de fait contre-productif, puisque c’est la société réelle que la sortie scolaire permet de visiter. C’est en fait l’encadrement pédagogique de l’enseignant (avant pendant et après la sortie) qui fait que c’est une sortie scolaire. La sortie scolaire fait-elle partie de l’enseignement ? Évidemment ; c’est une activité pédagogique. C’est pourquoi elle doit être gérée par l’instituteur et par lui seul. Il en maîtrise les objectifs et les contenus.
3. Le statut des accompagnateurs / trices :
La logique de l’Ecole publique voudrait que les élèves en sortie scolaire soient encadrés uniquement par du personnel de l’Éducation Nationale ou du personnel municipal. Les carences gouvernementales permanentes (et qui ne font que s’aggraver) font qu’on en arrive à même hésiter à rappeler cette évidence.
Dans ce cadre, si l’enseignant souhaite organiser une sortie scolaire, il doit faire appel à des personnes bénévoles. Traditionnellement, il les choisit généralement parmi les parents d’élèves. S’il y a des parents d’élèves accompagnateurs, ils ne sont pas autorisés ni qualifiés pour intervenir dans l’enseignement. Ils ne sont là que pour la logistique et la sécurité.
Le fait qu’ils soient assurés contre les accidents par l’État n’en fait pas des auxiliaires d’enseignement. Le Conseil d’État a d’ailleurs tranché clairement le 19 Décembre 2013 sur ce point : il n’y a pas de catégorie intermédiaire entre les représentants de l’État et les usagers du Service Public. Les accompagnateurs/trices scolaires ne sont pas des représentants de l’État, mais des usagers bénévoles du service public. Seul le représentant de l’État est tenu à la neutralité. Les usagers ne sont tenus qu’à l’absence de prosélytisme, comme quand ils vont à la Mairie par exemple.
Concernant les accompagnatrices scolaires voilées, il y a au moins un aspect qui fait presque consensus, à part une petite minorité. C’est le fait que ce n’est pas contraire à la loi, donc ce n’est pas contraire à la laïcité. Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Éducation Nationale, l’a reconnu. De même entre autres le parti Les Républicains, puisqu’il a fait voter au Sénat une proposition de loi pour les interdire.
Dans l’état actuel de la législation, les instituteurs peuvent choisir des mamans voilées s’ils le souhaitent, à condition de respecter l’ordre public ; s’ils veulent les exclure, pour des raisons liées au bon déroulement de la sortie scolaire, ils doivent avoir une raison précise pour cela. En droit français, donc y compris dans le cadre de la laïcité de l’État et de l’Ecole publique, la liberté est la règle, et les exceptions doivent être justifiées.
4. La liberté de conscience des élèves.
Dans cette contribution, il n’est question que de mères portant habituellement un foulard sur la tête dans leurs déplacement publics, pas de Saoudiennes ou de Yéménites, ou de provocatrices qui ne porteraient un foulard que pour la seule sortie scolaire.
Si des mères à foulard sont invitées à accompagner la sortie scolaire, c’est en général que dans le quartier autour de l’école il y a une proportion non nulle de femmes dans les rues avec la tête couverte. Les élèves n’ont sans doute pas manqué de le remarquer. Les mêmes mères qui accompagnent les sorties sont celles qu’ils voient quotidiennement, y compris à la sortie de l’école. Ils ne sont donc pas surpris de les voir habillées comme d’habitude lors de la sortie. Ils seraient même étonnés que ces mères soient obligées de retirer leur foulard pour les sorties ; la laïcité, si on essayait de leur expliquer, leur apparaîtrait, d’ailleurs à juste titre, comme une contrainte et une atteinte aux libertés individuelles (même si évidemment ils ne le formuleraient pas clairement).
Ajoutons que la « liberté de conscience » des élèves des écoles primaires est une notion discutable. Au départ, la notion de « droits de l’enfant » est un oxymore ; dans la République Française seuls les citoyens ont des droits et ils doivent pour cela être majeurs (ou émancipés..). Dans la Convention de l’ONU de 1989 sur les « Droits de l’Enfant », seule la forme est discutable car cette Convention liste de fait des obligations de la part de l’État ou des citoyens en direction des enfants. La notion de « liberté de conscience » des élèves entre mal dans ce cadre ; on peut juste dire que les décisions concernant les élèves sont mieux fondées si on tient compte de leur intérêt.
De plus, le rôle de l’Ecole publique est justement de fournir aux élèves les éléments d’information et de réflexion qui leur sont nécessaires pour se forger une « liberté de conscience ». Parler de la liberté de conscience d’élèves de primaire c’est mettre la charrue avant les bœufs.
5. Foulard islamiste ?
On peut aussi ajouter une remarque : le soi-disant foulard islamiste ne l’est pas tant que cela. Non seulement le foulard sur la tête des femmes est très antérieur à l’Islam, mais cette obligation ne figure pas comme telle dans le Coran ; on n’y parle que de se couvrir la poitrine, et les obligations concernant la tête ne concernent que les femmes et filles du prophète.. Il y a même ici en France des femmes imams non voilées.. Exemple : https://www.youtube.com/watch?v=YtBrbKAfOMM
La demande de foulard pour les femmes dans la tradition musulmane n’est qu’une pression des autorités religieuses en place.
Illustration : https://www.youtube.com/watch?v=D-DZUnh8-Ro
En revanche, cette « obligation » pour les femmes de se couvrir la tête est commune au moins à tous les monothéismes ; il n’y a pas si longtemps que les femmes qui allaient à l’église en France devaient avoir un foulard sur la tête.
Extrait de la 1ère Épître de Saint-Paul aux Corinthiens (11 : 2-16):
2 Je vous félicite de vous souvenir de moi en toute occasion, et de conserver les traditions telles que je vous les ai transmises. 3 Je veux pourtant que vous sachiez ceci : le chef de tout homme, c’est le Christ ; le chef de la femme, c’est l’homme ; le chef du Christ, c’est Dieu. 4 Tout homme qui prie ou prophétise la tête couverte fait affront à son chef. 5 Mais toute femme qui prie ou prophétise tête nue fait affront à son chef ; car c’est exactement comme si elle était rasée. 6 Si la femme ne porte pas de voile, qu’elle se fasse tondre! Mais si c’est une honte pour une femme d’être tondue ou rasée, qu’elle porte un voile ! 7 L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme. 8 Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme, 9 Et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. 10 Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête la marque de sa dépendance, à cause des anges. 11 Pourtant, la femme est inséparable de l’homme et l’homme de la femme, devant le Seigneur. 12 Car si la femme a été tirée de l’homme, l’homme naît de la femme et tout vient de Dieu. 13 Jugez par vous-mêmes : est-il convenable qu’une femme prie Dieu sans être voilée ? 14 La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas qu’il est déshonorant pour l’homme de porter les cheveux longs ? 15 Tandis que c’est une gloire pour la femme, car la chevelure lui a été donnée en guise de voile. 16 Et si quelqu’un se plaît à contester, nous n’avons pas cette habitude et les églises de Dieu non plus.1
(source : https://journals.openedition.org/clio/488)
Janvier 2020