DOSSIER DL n°5 : Lettre d’une DDEN du 93 à propos de la lettre de Christine Renon, directrice d’école à Pantin

Denise Landron-Bureau
DDEN des écoles de SEVRAN

A Mesdames et Messieurs les directeurs des écoles de Sevran.

Objet  : La lettre de Christine Renon, directrice d’école à Pantin.

Mesdames, Messieurs, cher(e)s collègues,

Je prends la plume ce soir… Après 17 ans passés comme DDEN dans les écoles de la ville, je pense pouvoir me le permettre.

Je ne répéterai pas quelles sont les missions des DDEN depuis plus d’un siècle, telles qu’elles sont codifiées dans le Code de l’Éducation. Nos interventions depuis le 15 février 2018, date à laquelle nous avons constitué avec les enseignants et leurs syndicats, et les parents élus dans les conseils d’école, le «Comité de suivi des écoles de la ville  », ont permis de les rappeler.

Quand j’ai lu la lettre de votre collègue Christine Renon, directrice d’école à Pantin, lettre qu’elle est allée déposer dans une boite aux lettres, avant de se donner la mort, épuisée, j’ai repensé à toutes ces discussions et signalements qui ont été faits aux autorités sur les difficultés que vous rencontrez dans vos écoles.

J’ai retrouvé les courriers adressés aux autorités (IEN, DASEN, Préfets, Sous-Préfet, Maires et ses adjoints…). Je les ai relus ce week-end.

17 ans de courrier.

Là, une fuite d’eau et l’inondation qui s’en suit…

Là, les rats qui ont mangé les fils du téléphone, et donc plus d’internet pendant des jours et des jours…

Là, pas de chauffage, pas d’eau chaude pour faire le ménage dans les classes et les couloirs…

Là, vandalisme et cambriolages, des portails d’écoles toujours ouverts,

Là, l’école servant de refuge à des dépôts de drogues… ou pour faire un barbecue tranquille le week-end  !

Là, des champignons émaillant le sol de la cuisine, rendant insalubre et dangereux le travail des personnels et le repas des enfants…

Là, une voiture de l’institutrice volée, dans l’école, en pleine journée…

Là, un enfant en grande difficulté ayant besoin des soins de professionnels… abandonné dans une classe où il perturbe tout le travail…

Et toutes ces sociétés privées (ménage, restauration, chauffage…) auxquelles il faut s’adresser puisque ce sont elles qui ont en charge les écoles sur ces missions…

Là, des enfants privés de gymnase et de sport car celui-ci est prêté à des organisations cultuelles.

Là des maîtres absents non remplacés, des RASED dont chacun doit couvrir plusieurs groupes scolaires, un médecin scolaire pour 10.000 élèves,

Là des poubelles non vidées, des TNI qui font mal aux yeux des enfants, etc, etc, etc.

Des dizaines et des dizaines d’interventions alertant sur la dégradation du plus beau des services publics  : l’ECOLE LAÏQUE.

Avec tous les comptes rendus des conseils d’école que vous faites si minutieusement et que nous avons recueillis, et de plus en plus précisément, nous avons été reçus, tous ensemble, parents élus, syndicats d’enseignants et DDEN par le Sous-Préfet, le DASEN, le Maire…

On a pu comparer nos cahiers de signalements comme des sortes de «  cahiers de doléances  » en faveur de l’Ecole publique. Nous ne le renions pas.

L’IEN, quant à lui, depuis un an ne désire plus nous voir à cause de cela. Il nous a même condamnés pour «  activités qui sortiraient de nos missions  » sans apporter la moindre preuve sur ses accusations sans aucun fondement. Et pour cause, nos missions sont bien de signaler ce qui ne va pas dans nos écoles publiques. C’est tout le contraire de la loi du silence ou la complicité avec l’inacceptable.

On a parfois le sentiment que le «  surtout pas de vague  » et «  n’embêtez pas la Mairie  » seraient bien plus importants que les conditions réelles de la vie scolaire dans nos écoles publiques  !

Nous avons néanmoins, et malgré l’inertie négative des autorités de l’Éducation Nationale, été écoutés.

Avons-nous été entendus  ? Partiellement.

Des mesures ont été prises pour la sécurité des écoles, des travaux entrepris pour réparer ce qui méritait de l’être… Mais que d’énergie faut-il dépenser pour obtenir difficilement ce qui n’est, somme toute, que parfaitement normal dans l’École de la République  !

Nous n’avons pas outrepassé nos missions en rappelant aux autorités municipales, leurs devoirs de fournir aux enfants des écoles sécurisées et propres, gardées et entretenues, agréables et belles, avec du matériel performant, des locaux spacieux et bien équipés…

Quant aux autorités de l’Éducation Nationale, leurs missions ne sont-elles pas de garantir aux personnels des conditions de travail compatibles avec les exigences du métier d’enseignant et d’Atsem  ?

Christine Renon, dans son courrier adressé à ses collègues, décrit les mille et une difficultés rencontrées pour diriger une école.

Écoutons les directeurs d’école  : ils sont en première ligne.

Un directeur nous a dit: «  et pourtant ce qu’elle dit n’est qu’un 10ème de ce qu’on vit.  ».

Un autre  : «  Je passe un temps fou à aller et venir entre mon bureau et le portail, au téléphone et mon ordinateur, les services de la ville et les sociétés privées… Un autre  :  «  heureusement que je suis célibataire et sans enfants, sinon je démissionnerai  !  »

Et pourtant, elle avait, Christine, une gardienne dans son école. A Sevran, le gardien, c’est vous comme vous êtes aussi le factotum, le portier, l’assistante sociale, l’infirmier, l’agent municipal, le réceptionniste des fournisseurs et l’interlocuteur permanent des parents. Même le ménage faute d’agents de service dans les écoles dans la journée  !

J’ai vu les images du rassemblement des enseignants devant son école, jeudi, plusieurs milliers venus de toute la région parisienne. Et aussi, j’ai lu l’appel des 7 syndicats au rassemblement du 3 octobre devant le CHSCT. 7 syndicats enseignants, sur la Seine Saint Denis… ensemble, pour défendre l’institution scolaire et son personnel… C’est rare. Enseignante dans le 93, je n’avais jamais vécu cela.

Et ce petit mot rajouté à la main  : «  faites tout pour qu’on ne salisse pas ma mémoire.  »
La colère est grande et légitime.

Fasse que cette unité soit efficace et permette d’obtenir, ici et maintenant, les mesures immédiates nécessaires pour sauver l’  «  école publique  » et permettre à ses personnels d’accomplir leurs missions qui est d’abord et avant tout d’enseigner dans de bonnes conditions.

Mon vœu le plus cher serait qu’avec les syndicats et les parents, se constituent partout des «  comités de suivi des écoles  », dans toutes les villes, dans tout le pays  !

Le 3 octobre, je serai parmi-vous.

Recevez, tous, mes fraternelles salutations,

Avec toutes mes excuses pour cette longue missive, mais la lettre de Christine à ses collègues m’a beaucoup émue.

Denise Landron-Bureau, DDEN sur la ville