Comment préparer les esprits à un mauvais coup contre l’école laïque…

ACTE I

« La lettre du DDEN » (organe de la Fédération Nationale des DDEN) n° 200 du 1er septembre 2021 comporte un supplément de 4 pages intitulé « Visite des écoles publiques de Marseille par la Fédération nationale des DDEN ».

Outre le fait que ces « visites » ont été décidées sans concertation avec l’Union des Bouches-du-Rhône des DDEN et ont ensuite été l’un des prétextes d’Eddy Khaldy pour exclure de cette union, regardons de plus près ce dossier.

D’entrée de jeu, Eddy Khaldy nous dit : « Nous avions pris l’engagement, auprès de nos différents interlocuteurs institutionnels de ne pas communiquer le résultat de nos visites avant l’élection municipale de 2020. Celle-ci étant close le 5 juillet 2020 nous publions ce court résumé de la synthèse générale » et « Cette opération fût l’objet, par notre Fédération, d’une longue préparation avec des réunions au Ministère, au Rectorat, à la Direction académique et à la Mairie de Marseille pour le côté administratif. Le lancement a été organisé à partir de l’Inspection académique en présences d’IEN ».

Tout DDEN, qui visite régulièrement les écoles auxquelles il est affecté ne peut que s’étonner de ce branle-bas de combat… et se poser la question « mais pourquoi Khaldi fait-il tout cela ? » Dans ce rapport, par ailleurs tout à fait banal après une visite d’écoles, on lit tout de même des choses étranges.

Deux exemples.

Concernant les bâtiments : « La gestion centralisée de 445 écoles n’est-elle pas un problème pour la réactivité ? »

Concernant le « double pilotage des personnels » (Éducation nationale et commune) : « Ne faut-il pas réfléchir à une nouvelle gouvernance de l’école primaire ? »

Puis à la fin du rapport, Eddy Khaldi fait mine de montrer ses muscles en écrivant « Les discours ne suffiront plus »… mais sans en dire plus.

Cependant en dernière page de cette « lettre des DDEN » un gros tire : « LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE À MARSEILLE. Ce déplacement fait écho aux visites des écoles publiques de MARSEILLE par les DDEN » ou l’on apprend que « Le Chef de l’État a consacré 3 jours de visite présidentielle à la ville de MARSEILLE en particulier pour apporter l’aide de l’État au financement de la rénovation des Écoles de cette ville ».

ACTE II

Lisons « La lettre du DDEN » n° 202 du 1er octobre 2021. Titre de la page 6 : « La proposition de loi Rilhac adoptée par la Commission des affaires culturelles ». Sur le ton de l’objectivité, Eddy Khaldy écrit tout le bien qu’il pense de ce projet de loi du député LREM Cécile Rilhac qui bouleverse complètement l’École primaire en donnant aux directrices et directeurs d’école un rôle fonctionnel, véritable représentant du ministère pour peser sur ses collègues.

A noter que les syndicats d’enseignants du primaire ont dénoncé ce projet de loi. Deux extraits de communiqués intersyndicaux :

« Les organisations SNUipp-FSU, SNUDI-FO, CGT Éduc’action et SUD éducation jugent inacceptable ce qui mettrait à mal la place centrale du conseil des maîtresses et maîtres animé par les directrices et directeurs, lieu de débats et de démocratie au sein des écoles. Les personnels des écoles n’ont pas besoin de hiérarchie dans l’école, mais de renforcer le collectif pédagogique. Cette proposition de loi doit être votée au moment où le président Macron annonce une expérimentation à Marseille où les directeurs et directrices d’école pourraient recruter les autres enseignant·e·s de l’école, suscitant ainsi l’indignation des personnels, à Marseille et ailleurs ».

« Les organisations syndicales SNUipp-FSU, SNUDI-FO, CGT Educ’action, SNALC et Sud Education refusent donc clairement cette idée selon laquelle le « choix des enseignant·es » par les directrices et directeurs répondrait aux besoins des écoles. Au contraire, elle ne ferait qu’entraîner une dérégulation des écoles publiques. Nous exigeons donc l’abandon immédiat du projet d’expérimentation de recrutement des enseignant·es par les directeurs et directrices tout comme nous refusons la proposition de loi Rilhac et le statut d’emploi fonctionnel. »

ACTE III

« La lettre du DDEN » n° 204 du 2 novembre 2021. Eddy Khaldy récidive après l’adoption du projet Rilhac par le Sénat. Suite à la levée de boucliers après le premier article, il écrit tout de même « Elle suscite cependant des interrogations chez les syndicats d’enseignants sur la notion de hiérarchie, pour eux, l’école doit rester sous gouvernance collégiale ».

ACTE IVou les actes du gouvernement sont en conformité… avec les propos d’Eddy Khaldy !

La loi Rilhac modifie totalement les prérogatives du Conseil d’école. De rôle consultatif car les règles de l’École publique sont fixées nationalement par des textes ministériels, le Conseil d’École pourrait décider de déroger aux règles nationales comme on tente de le faire sur 50 écoles de Marseille, sur le recrutement des enseignants, l’aménagement des locaux, l’apprentissage, le rythme scolaire… la loi précise que le directeur devrait « entériner les décisions qui y sont prises et les mettre en œuvre ».

Les cités éducatives remettent en cause le caractère national de l’Ecole publique en regroupant écoles et collèges de certains quartiers prioritaires. Ce regroupement est confié au chef d’établissement du collège avec une autonomie de gestion et de budget, tout cela sous la tutelle de la municipalité et du préfet. Les postes de directeurs sont attribués au profil. Le Président Macron avait déjà annoncé à Marseille que ces expérimentations devaient avoir lieu « dans les endroits qui sont le plus en difficulté parce que c’est là où on doit (…) avoir les équipes les plus motivées (…). On l’a commencé avec les cités éducatives et c’est ça qu’on va démultiplier. »

Et pour aller encore plus loin le ministère de l’Éducation nationale invente « la formation en constellations » pour les enseignants du 1er degré dans laquelle les directeurs seraient sollicités pour évaluer la carrière de leurs adjoints …

Nous sommes loin de l’École laïque, qui dispense le même enseignement sur l’ensemble du territoire de la République.

Force est de constater qu’en participant, à sa façon, à ce qu’il faut bien appeler « l’opération de Marseille », Eddy Khaldy renonce à ce qui a été le combat des DDEN depuis plus d’un siècle. Le congrès de la Fédération nationale des DDEN qui va s’ouvrir aura la responsabilité d’arrêter de cours dévastateur.

René Maurice