La Fédération Nationale des DDEN à la croisée des chemins (suite)

Mesdames et messieurs les DDEN: changer vos missions sous peine de radiation!”

Dans un article paru dans le Délégué Laïque N°3, nous avions pu lire les risques sérieux de remise en cause des missions des DDEN telles qu’elles sont définies dans plusieurs articles du Code l’Education. (1)

Les DDEN ne sont pas seulement invités à donner leur avis sur des questions comme les constructions scolaires, la scolarisation des enfants de la commune, le respect de la laïcité de l’école et de l’Etat, la restauration, les activités périscolaires…

Ils ont aussi le DEVOIR de faire tous les signalements auprès des autorités municipales et de l’Education Nationale (IEN, DASEN, voire Recteur) pour que soient respectées les conditions de la vie scolaire exigibles dans toute école de la République.

Les DDEN n’ont besoin ni de l’autorisation du Maire, ni de celle de l’IEN pour accomplir cette mission. Leur indépendance à leur égard est au-dessus des éventuelles sympathies ou antipathies qui relèvent du champ politique personnel de chacun en tant que citoyen.

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un DDEN ne peut pas exercer ses fonctions dans sa commune, s’il est élu au Conseil Municipal (art. D 241 29 du Code de l’Education). (2)

Cette question de l’indépendance des DDEN est évidemment essentielle. S’il n’avait ni le droit, ni la possibilité d’intervenir pour que les autorités donnent suite aux signalements qu’il a opérés (lui et/ou le Conseil d’Ecole), alors la fonction de DDEN s’arrêterait là où commence le respect des conditions nécessaires d’une vie scolaire acceptable.

En clair, le DDEN ne servirait plus à grand-chose pour et dans l’Ecole de la République.

Le DDEN doit-il se taire si les demandes urgentes des écoles qu’il suit ne sont pas honorées ?

Doit-il s’interdire de jouer son rôle de rassembleur des ami(e)s de l’Ecole publique ? Ne sont-ils pas depuis des décennies des partenaires naturels des personnels et de leurs syndicats, des parents et de leurs associations pour que les légitimes demandes de tous prévalent sur des considérations politiciennes, mercantiles, voire méprisantes pour les besoins de la scolarité des élèves et des conditions d’enseignement des personnels ?

« Plus que jamais l’Ecole publique a besoin d’avocats pour que ces besoins ne soient pas ignorés » (Rapport moral présenté par Christiane Mousson, Secrétaire Générale, pour le Congrès de la Fédération Nationale de 1986).

Les DDEN sont ces avocats. Ils ne sont au service ni du Ministère, ni du Maire. Ceux-ci ne peuvent-ils pas essayer de réaliser des économies budgétaires sur le dos des Ecoles publiques ou encore chercher à coloniser l’Ecole pour la mettre à leur service comme dans tous les régimes totalitaires ?

Les DDEN sont au seul service des besoins identifiés des écoles publiques.

Des signes plus qu’inquiétants mettent désormais l’indépendance des DDEN sur la sellette.

Le Ministère et ses Recteurs (directement désignés, faut-il le rappeler, par le Conseil des Ministres) ne cachent pas leur volonté politique que les écoles soient de plus en plus gérées par « les territoires » menaçant l’Education Nationale d’éclatement en autant d’écoles toutes différentes selon les territoires ?

Christiane Mousson avait bien vu le danger ouvert par les lois de décentralisation.

Elle écrivait : « Du fait de la décentralisation nous exerçons maintenant notre fonction dans un espace élargi, élargi parfois jusqu’à l’éclatement entre multiples décideurs, ce qui ne laisse pas de nous interroger, de nous inquiéter ( …). Cet éclatement de l’espace éducatif, entre de multiples lieux de pouvoirs et de décisions porte un risque de démantèlement du service public d’éducation, de perte d’unité, de remise en cause des principes fondateurs garantissant à tous les enfants et sur tout le territoire un égal accès à l’instruction ».

Christiane Mousson, Présidente d’honneur de la Fédération des DDEN,

L’Ecole, la laïcité, page 20 – décembre 2009

On comprendra aisément que les autorités de l’Etat cherchent à piloter les DASEN et les IEN dans cette voie de « l’école territoriale » au point d’abandonner de plus en plus les programmes scolaires nationaux par année et par matière au profit de la multiplication de « projets dits éducatifs » par école ou par commune.

Une « autonomie » en marche qui disloque l’Ecole de la République et introduit des Elus politiques locaux et des Associations les plus diverses dans la conduite et la gestion des écoles territorialisées.…

La nouvelle création des « Cités Educatives » dans des quartiers populaires en est une parfaite illustration. Elle crée des disparités et des inégalités entre les écoles au sein d’une même commune en ouvrant l’école à des activités les plus diverses n’ayant plus rien à voir avec l’Education Nationale.

On comprendra aussi la volonté de casser le statut de la Fonction publique qui garantissait l’indépendance et la qualification des personnels de l’Education Nationale et l’égalité des droits des élèves quelle que soit la Commune ou « le territoire ».

N’est-ce pas l’enjeu fondamental de la remise en cause du Bac comme examen national, avec copie et jury anonyme, au profit de « certificats maisons » sans valeur autre que celle que chaque Université, ou chaque employeur, leur accorderont ? En tout cas, les lycéens l’ont compris en protestant contre les épreuves d’E3C dans chaque lycée dans des conditions obligatoirement inégales et arbitraires.

Dans ce contexte, on comprendra que les autorités proposent à tous, Maires, Elus politiques, associations, syndicats… et maintenant DDEN, de participer à la gestion de chaque école pour mettre en œuvre le « projet éducatif de l’Etablissement » ou d’une communauté d’établissements. L’avantage serait considérable pour les pouvoirs publics qui asphyxient de plus en plus les Communes : le « Conseil d’Ecole » devrait se débrouiller pour assurer son « autonomie de gestion » (y compris pour le remplacement des enseignants absents, équiper les écoles, payer les sorties scolaires ou assurer le ménage dans l’école).

Le Conseil d’Ecole devrait se débrouiller pour trouver les fonds nécessaires pour le fonctionnement de l’Ecole.

Le règne de fonds privés à l’Ecole publique se marierait alors très bien avec celui des fonds publics à l’école privée !

On pourra ajouter les fonds publics aux grandes sociétés privées pour leur ouvrir les immenses marchés de la restauration scolaire, du chauffage et du ménage dans les écoles et même la construction de nouvelles écoles avec « des partenariats publics privés » qui, au final coûterait sur 25 ans de loyers 3 fois plus cher que le coût de la construction !

Comment ne pas s’inquiéter dans ces conditions de trouver dans la littérature du Bulletin National de la Fédération qu’il faudrait désormais que les DDEN participent à « la gestion de l’école », à des « projets pédagogiques ou éducatifs », « encadrent les sorties scolaires » et ne devraient plus intervenir avec les amis de l’Ecole publique pour que les demandes légitimes des écoles soient honorées par les autorités municipales et de l’Education Nationale.

Autrement dit, il faudrait que le DDEN ait désormais uniquement le droit de se taire sur ce qui ne va pas dans des écoles de la République, mais le devoir de collaborer à l’œuvre de démanteler de l’Education Nationale.

N’a-t-on pas vu la Fédération Nationale des DDEN soutenir la réforme gouvernementale dite « des rythmes scolaires » contre l’immense majorité des enseignants, alors que le Ministère franchissait un pas de plus vers le transfert aux Elus politiques locaux du droit de déterminer les horaires scolaires pour mieux confondre l’enseignement avec les activités périscolaires municipales et autres ?

Cette escalade dans la collaboration avec le pouvoir politique n’est pas seulement suicidaire pour la Fédération Nationale des DDEN. Elle est aussi une descente aux enfers amenant Eddy Khaldi à organiser une véritable chasse aux sorcières contre les DDEN qui veulent garder leur indépendance avec leur droit de signaler ce qui ne va pas dans nos écoles et d’agir en faveur de mesures immédiates pour satisfaire les besoins incontestables des écoles publiques (alors que, dans le même temps 12 milliards de fonds publics sont déversés cette année aux écoles privées confessionnelles !).

Il y a eu la radiation du DDEN du Rhône ayant commis le crime, selon Eddy Khaldi, de s’être adressé aux autorités de l’Education Nationale pour faire cesser le va et vient permanent de prêtres dans la Mairie où se situe l’école publique.

Il y a le soutien d’Eddy Khaldi au Président de l’Union des DDEN de Seine-Saint-Denis, Mr Minetto, suppliant le DASEN de procéder à la radiation collective des 7 DDEN de Sevran. Il les accuse d’intervenir publiquement avec un « Comité de Suivi des écoles publiques de Sevran» comprenant les enseignants et leurs syndicats, les parents et leurs associations pour que soient honorées les demandes des écoles formulées dans les comptes-rendus des Conseils d’Ecole. Bref, d’accomplir leur mission !

Précisons que l’IEN de la circonscription avait exigé des 7 DDEN que leurs signalements restent totalement confidentiels et sans réponse de sa part. Ces exigences sont aussi inadmissibles que ridicules. Ces demandes figurent toutes dans les comptes-rendus écrits des Conseils d’Ecole (27 sur la ville), affichés à la porte des écoles ! Elles sont répertoriées dans des CAHIERS (4 N°) qui ont servi de base précise pour les autorités municipales et leurs services techniques municipaux. Les DDEN en ont été remerciés par tous et approuvé par l’AG départementale annuelle des DDEN du 16 février 2019.

Tous, sauf l’IEN qui se plaindra auprès de Mr Minetto, le Président départemental de l’Union qui demandera… leur radiation collective au DASEN, sans même que les DDEN se Sevran ne soient entendus.

Les 7 DDEN sont convoqués un par un par le nouveau DASEN (venant de la Moselle), entre le 25 février et le 4 mars 2020.

Vous lirez (PIECES JOINTES) leurs observations adressées aux autorités prouvant sans aucun doute possible le caractère irrégulier, injuste et arbitraire de cette procédure de radiation.

Elle est sans aucun fondement sérieux au regard de l’accomplissement de leurs missions par la délégation sevranaise des DDEN qui a le soutien de tous les enseignants et leurs syndicats, parents élus dans les conseils d’école, Elus municipaux, le Maire et l’ancien Maire… Tous les conseils d’école en ont discuté. Personne de la ville ne demande leur radiation, bien au contraire !

Mais, à l’évidence, Eddy Khaldi et Minetto n’en ont rien à faire. Pour eux les DDEN doivent d’abord obéir aux autorités, dont ils seraient les nouveaux collaborateurs.

Taisez-vous Messieurs les DDEN et ne bougez pas pour que les demandes des écoles publiques soient honorées, sinon vous subirez le même sort que votre collègue du Rhône et de Seine-Saint-Denis.

Exagération ?

Dans le compte-rendu du Conseil Fédéral du 14/11/2019, adopté par le Conseil fédéral du 23 janvier 2020, on apprend que le Conseil Fédéral a voté à l’unanimité la radiation d’un DDEN de Marseille.

Son crime ?

«Patrick Krikorian de sa propre initiative, sans informer la direction de la Fédération, a transmis un banal document de 3 pages sur les visites (d’écoles) de Marseille au DASEN, à la Maire-Adjointe de Marseille et à quelques membre de son CA au nom de la Fédération alors qu’il n’a participé à aucune des visites avec elle. La Mairie de Marseille a interrogé la Fédération qui avait pris l’engagement de ne rien diffuser. Le Conseil Fédéral estime que Patrick Krikorian a commis là des fautes graves . »

Incroyable mais vrai ! Un DDEN est radié de la Fédération parce qu’Eddy Khaldi avait passé un accord (secret) avec le Maire de Marseille pour que rien ne soit dit sur la situation scandaleuse de certaines écoles de quartiers populaires de Marseille laissées à l’abandon !

Eddy Khaldi ira-t-il jusqu’à condamner les reportages passés sur FR3 régionale qui montre la situation lamentable de certaines écoles ? Condamnera-t-il aussi les familles qui se sont regroupées pour que des mesures d’urgence soient prises pour remettre en état toutes les écoles de Marseille et construire de nouvelles écoles indispensables pour scolariser correctement tous les enfants marseillais ?

De quel côté se place le DDEN du Val de Marne devenu Président de la Fédération Nationale ?

  • du côté des droits des élèves et des maîtres des écoles publiques ou du côté des autorités pour qui l’Ecole publique coûterait trop chère à l’Etat et aux Communes ?

  • Du côté des DDEN qui accomplissent leurs missions en toute indépendance en signalant ce qui ne va pas dans les écoles publiques et en agissant avec tous ceux qui souhaitent que les légitimes demandes des écoles soient honorées par les pouvoirs publics ou du côté de ceux qui souhaitent étouffer dans l’œuf les situations de vie scolaire inadmissibles dans l’Ecole de la République ?

  • Du côté de la vérité des faits ou du côté de la loi du silence et du secret d’Etat ?

La radiation du DDEN de Marseille, de celui du Rhône et la procédure de radiation engagée avec l’appui d’Eddy Khaldi pour faire radier les 7 DDEN de Sevran par le DASEN apportent déjà des réponses.

Le compte-rendu du Conseil Fédéral National du 14 novembre 2019 franchit un cran supplémentaire dans la tentative engagée de normalisation de la Fédération et de ses Unions Départementales. « Le Conseil fédéral est une instance délibérative qui prend un certain nombre de décisions et les prises de position de la Fédération engagent tous les DDEN ».

La liberté de conscience des DDEN n’existerait donc plus dans la Fédération dans laquelle on devrait obéir au doigt et à l’œil aux décisions de la Direction Fédérale sous peine de radiation.

Des DDEN sont solidaires des enseignants qui ont massivement rejeté la réforme des rythmes scolaires ? Des DDEN ne seraient pas pour interdire aux femmes musulmanes d’accompagner les sorties scolaires ? D’autres encore agissent main dans la main avec les syndicats d’enseignants, les parents et leurs associations pour que les besoins des écoles soient signalés et satisfaits par les autorités concernées ? Ils auraient désormais le droit de le penser, mais l’obligation de se taire. Le Grand Inquisiteur présidera à leur sort.

Et, pour que cela soit bien clair pour tous, le Conseil Fédéral National suspend une épée de Damoclès sur la tête de chacun et de tous : l’échéance de 2021 avec la procédure de renouvellement.

Le compte-rendu rappelle sentencieusement : « Les nominations et les radiations sont de la compétence exclusive du DASEN », même si l’IEN émet un avis favorable au renouvellement.

Eddy Khaldi avait passé un accord secret avec le Maire de Marseille pour faire régner la loi du silence sur les situations réelles des écoles publiques des quartiers populaires de Marseille.

Le Président de l’Union de Seine-Saint-Denis, Mr Minetto, applique déjà cette loi du silence dans les rangs sur la situation réelle des écoles du 93, au CDEN où il siège. Il va jusqu’à dénoncer les DDEN de Sevran qui osent vouloir conserver leur bien le plus précieux pour accomplir leurs missions : leur indépendance vis-à-vis des autorités.

La procédure engagée pour la radiation des DDEN de Sevran a désormais un contenu et une portée à l’échelle nationale : l’enjeu n’est-il pas, en effet, de savoir si tous les DDEN qui ne feront pas acte d’allégeance aux autorités engagées dans le démantèlement de l’Education Nationale seront ou non radiés ou non renouvelés pour leur interdire d’accomplir leurs missions et imposer le silence dans les rangs de la Fédération ?

Nous aurons la réponse dans quelques semaines.

Michel Bureau

  1. Articles du Code de l’Education définissant les missions des DDEN : Articles N° L241-4-1, D241-24, D241-31, D241-32, D241-33, D241-3, D411. On pourra se référer aussi à la Charte du DDEN qui rappelle la mission d’inspection et son domaine de compétence fixé règlementairement, en particulier, son devoir de « signalement aux autorités publiques compétentes ce qui paraît néfaste à l’accueil et à l’éducation des enfants ».

  1. QUI EST DONC Mr MINETTO ? Président de l’Union des DDEN 93, il est à ce titre responsable de faire respecter la règlementation en vigueur quant au statut des DDEN. Or, il est lui-même élu politique municipal à Villemomble depuis plusieurs années tout en exerçant dans cette ville les fonctions de DDEN, ce qui est formellement interdit. Il a d’ailleurs cessé de les exercer dans sa Commune, en se mutant lui-même à Bondy en septembre 2019, après avoir signé son courrier au DASEN demandant la radiation collective des 7 DDEN de Sevran.

Précisons également que Mr Minetto a accepté que des élus politiques (du même parti que lui) exercent des fonctions de DDEN dans la Commune où ils sont Conseillers municipaux, et même Maire Adjoint, ce qui est formellement interdit. Enfin, Mr Minetto conduit une liste aux élections municipales à Villemomble où il revendique de devenir le Maire en se réclamant publiquement d’être « le Président d’une Association de bénévole qui veille à la qualité de vie et la sécurité des enfants dans les écoles du département » !  A ses côtés sur sa liste aux élections Municipales à Villemomble on trouve également un DASEN Adjoint qui exerce ses fonctions dans un Département de l’Académie de Créteil. La boucle est bouclée.