La République contre son Ecole ?

Ce second ouvrage d’Eddy Khaldi reprend largement son premier. Il est de la même veine : sous une apparence documentée, l’auteur a de curieux trous de mémoire dès qu’il est question de la « Gauche au pouvoir ».

D’abord, le titre est bien curieux. Comment la République, prise au sens générique du terme, pourrait être contre « son » Ecole ? Que la Ve République, antidémocratique et antilaïque soit contre l’Ecole publique, c’est une évidence. Mais la Ve République n’engage nullement le concept de République, au contraire, elle en est l’antinomie.

Inventif

En page 52 de l’ouvrage, on apprend, un peu étonné, que « les socialistes refusent donc (en 1978) un dualisme scolaire qui consacrerait l’installation permanente de deux systèmes parallèles et concurrents, tous deux financés par l’Etat ». Si cela avait pu être vrai, on s’en serait félicité, et même, on aurait pu le voir à partir de 1981. Mais comme sœur Anne, on n’a rien vu venir. On a même vu strictement le contraire.

Ce curieux strabisme politique conduit l’auteur, en page 37, à décrire une situation étonnante sur l’action du Parti Socialiste en matière de laïcité : « La gauche, par une atonie qui fait figure de complaisance contribue par son invraisemblable passivité – connivence ? – à ce démantèlement. Son silence conforte la collusion d’intérêts libéraux et cléricaux pour séparer l’école de l’Etat ». 

Passivité, connivence, silence, l’action des ministres socialistes au pouvoir ? Loi Rocard, Jospin, Accords Lang/Cloupet : c’est là plus que de la passivité, c’est la guerre ouverte contre l’Ecole laïque. On est en plein Tartuffe : cachez ce sein antilaïque que je ne saurais voir !

De même, en page 103, l’auteur fustige la disparition de la formation des enseignants du second degré dans les IUFM, mais a les yeux de Chimène sur le fait que c’est Lionel Jospin qui a supprimé les Ecoles normales (la deuxième fois après Pétain) et créé les IUFM, négation de la mission historique des Ecoles normales d’Instituteurs. L’auteur va même, en page 213, qualifier les IUFM d’« authentique institution publique » égale aux Ecoles normales.

L’auteur prétend que la loi Jospin était magnifique et cite, (acte manqué ?), Ferdinand Buisson : « Toutes les fois que l’on prépare une réaction morale et politique, on s’attaque aux instituteurs ». On pourrait appliquer cette citation à toute l’œuvre antilaïque de la Gauche au pouvoir, hier comme aujourd’hui.

Le seul reproche que l’auteur adresse à la Gauche, à nouveau au moment du vote de la loi Carle, c’est la « tiédeur ». En page 184, on peut lire ceci : « Cependant, ce jour-là, les députés socialistes se montrent par moments, d’une étrange tiédeur. Résultat des courses : à l’issue de cette commission à l’Assemblée, le projet est passé, en l’absence d’une opposition résolue. Le PS a donc soutenu au moins implicitement le projet de loi ».

Cette « tiédeur » n’a pas empêché le sénateur socialiste, ancien ministre, Michel Charasse d’être l’initiateur de cette forfaiture antilaïque. Nous faire le coup de la Gauche molle et de la Droite dure, il fallait oser !

De même, l’auteur a une thèse qui permet toutes les audaces : il faudrait en revenir à la loi Debré originelle. Il indique même que Jean-Louis Debré « semble trahir son père ». Après l’épisode de l’article 69 de la loi Falloux en 1993/1994 où la « Gauche politique et syndicale » a manifesté pour la défense de la loi Falloux (Victor Hugo a dû se retourner dans sa tombe), on veut nous faire défendre la loi Debré, qui est la mère de toutes les lois antilaïques, la loi Falloux en étant la grand-mère. Il y en a qui ne manquent pas d’audace, ni d’imagination.

Florilège des contre-vérités par omission

Page 43, l’auteur décrit fort justement la logique antilaïque mise en œuvre par la Ve République. Celle-ci a d’abord rendu « publique » l’école privée pour ensuite rendre « privée » l’Ecole publique. On passe ainsi de « la nationalisation du privé à la privatisation du public ». Fort juste, mais pourquoi ne pas dire que c’est la loi Jospin du 10 juillet 1989 qui a opéré cette mutation ? C’est cette loi qui a imposé le modèle du caractère propre et le fonctionnement de l’enseignement privé catholique à l’enseignement public. Elle a renforcé le rôle des Conseils d’école, survivance de la « mission de surveillance » prévue dans la loi Falloux.

En page 92, on lit que Xavier Darcos, ministre de Nicolas Sarkozy, aura « supprimé 100 000 postes dans l’Education nationale » pour « dégraisser le mammouth ». Le lecteur ne saura jamais que cette expression a été inventée par Claude Allègre, ministre socialiste de Lionel Jospin et visait, non les enseignants, mais le personnel du Ministère. L’auteur poursuit cette fausseté en page 195, où il indique que « dégraisser le mammouth » est l’obsession implacable de Xavier Darcos.

On atteint un sommet de contre-vérités quand l’auteur traite de la modification de l’article 69 de la loi Falloux. Un seul coupable : François Bayrou et le gouvernement de Droite ! Mais le Canard Enchaîné a révélé en son temps, sans jamais être démenti par les intéressés, que la Droite avait trouvé le projet dans les tiroirs de Jack Lang. C’est Majax, la Droite est honnie et la Gauche absoute par la grâce d’Eddy Khaldi ! C’est quand même un peu fort de café.

Bien entendu, on trouvera aussi au fil des pages tous les poncifs habituels de la pensée unique : la description de l’Islam menaçant et conquérant s’inscrit dans la politique du choc des civilisations. L’auteur va même jusqu’à dénoncer le fait qu’il y a « tromperie sur la marchandise » à propos de l’enseignement catholique, qui n’est pas visiblement assez « catholique » à son goût.

En conclusion, cet ouvrage, comme le précédent, a un goût de Canada dry : cela ressemble à la laïcité, mais cela n’en est point. Il vise à nous faire prendre son messie (le PS) pour une lanterne. Et à ce petit jeu, on finit toujours par se brûler.

Herbert Lespînasse

La République contre son école par Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi – Edition Demopolis – 328 pages – 21€